Wwoof autour du monde

C'est l'histoire d'une journaliste qui va se nettoyer les neurones durant un an en faisant du wwoofing autour du monde.

Pour ceux qui ne connaissent pas, wwoofing: willing workers on organic farms, c'est-à-dire aider des agriculteurs bio et en échange être logé et nourri.

Pourquoi du wwoofing? Parce qu'il combine tout ce que j'aime: la nature, le grand air - ah, les mains dans la terre, finir sa journée crottée - les voyages, les rencontres... Et surtout, je n'avais pas envie de "voyager pour voyager", mais trouver un fil conducteur et apporter ma petite contribution à une autre façon d'envisager notre monde.

Attention! Ce n'est pas un travail journalistique que je fais ici, je ne prétends pas à l'exactitude, mais au partage de ce que je vis. Pour le plaisir, simplement...

samedi 1 août 2015

Debaj, les réserves et l’histoire récente des Amérindiens



Ces quinze jours passés à Debaj m’ont permis d’appréhender – du moins un peu – la situation des Amérindiens du Canada. Au début, j’ai eu l’impression qu’elle était bien meilleure que les images que j’en avais : acculturation, chômage, alcoolisme, obésité…  Les gens que je côtoyais étaient « normaux », comme vous et moi, et lorsque je me suis rendue pour la première fois à Wiky, j’ai vu de jolies maisons, semblables à celles de Manitowaning.


Mais les discussions au fil des jours, et surtout ce week-end, hébergée avec Simon chez Audrey et sa famille, une des salariées de Debaj, pour assister au grand pow wow de Wiky, m’ont montré que la réalité des Autochtones reste très difficile. A Wiky, dès qu’on quitte la route principale, on se trouve devant ces alignements de maisons  préfabriquées, ce sentiment d’abandon collectif semblable à celui de nos banlieues ; et en parlant avec les gens, j’ai pu voir combien l’alcoolisme est un fléau chez les Autochtones. Tous connaissent ou ont connu quelqu’un mort de cirrhose, d’autres sont des anciens alcooliques,  le chômage, l’obésité et le diabète sont importants….

 "Unceded reserve"


Et encore, la situation de Wiki est privilégiée. C’est la seule reconnue officiellement comme «sans traité » (unceded). En effet, lorsque le Canada a créé les réserves, les Autochtones ont dû signer des traités avec le gouvernement (on se doute de quel côté les traités n’ont pas été toujours très respectés….). Plusieurs ont refusé de les signer, mais seule Wiki a obtenu que ceci soit reconnu. La réserve est propriétaire de sa terre, alors que dans les autres, la terre appartient au gouvernement canadien.

Plus au nord de l’Ontario, les réserves sont dans des situations de détresse, elles sont en général dans les lieux les plus inhospitaliers, infestés de moustiques, et pour celles qui ont la malchance d’être près de mines (si le Canada est prospère, c’est grâce à elles), leur eau est contaminée. Beaucoup de ces Amérindiennes obligées de se prostituer et tuées ou disparues évoquées dans le « 7 minutes show » de  vendredi dernier (voir la vidéo de mon article sur ma première semaine à Debaj) venaient des réserves du nord. Et même à Wiki, la situation n’est pas toujours rose ; beaucoup d’Amérindiens au-delà de la quarantaine n’ont pas dépassé le niveau scolaire de base.

Residential schools

C’est là que j’ai découvert les « écoles résidentielles ». Nombre de jeunes Amérindiens ont été emmenés loin de leur famille pour être placés dans ces pensionnats religieux (en général catholiques), où il leur était interdit de parler leur langue, où ils étaient christiannisés en vue d’être assimilés. Abus sexuels et stérilisation y ont été menés. Je savais que ces système avaient aussi existé aux USA, en Australie, et en Nouvelle-Zélande, mais ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est de découvrir jusqu’à quand ces écoles résidentielles ont existé : jusque dans les années 90. La dernière a fermé en 1996… C’est-à-dire il y a tout juste 19 ans. La commission pour la vérité et la réconciliation sur ces écoles n’a été créée qu’en 2008.

Et jusque dans les années 60, les Amérindiens n’avaient pas le droit de sortir des réserves.

Cela m’a permis de voir combien le travail de réappropriation de leur histoire par les acteurs de Debaj est important. Et, au fil des années, Debaj  a travaillé sur la préservation et la transmission des légendes et histoires amérindiennes ; en intégrant maintenant l’environnement et la nourriture, travaille sur la cueillette, la connaissance et l’utilisation des plantes de l’île (les gens m’ont dit que l’île contient la plus grande diversité au monde de plantes médicinales a prorata de sa surface).

La pédagogie plutot que le militantisme


J’ai eu une très intéressante discussion avec Joana ce matin sur le fossé qui existe encore entre autochtones et blancs, qui vivent souvent mal le fait que les Autochtones aient – ou revendiquent – des réparations pour les actes du passé. « Oui, les Canadiens disent qu’ils ne sont pas responsables de ce que leurs ancêtres ont fait, m’a-t-elle dit. Et longtemps j’ai pensé comme cela moi aussi. Mais ils oublient une chose, c’est que s’ils sont prospères aujourd’hui, s’ils ont une vie heureuse, si le Canada est riche, c’est grâce aux terres qu’ils ont volées aux Premières Nations, aux fleuves qu’ils ont détournés ou barrés, aux lieux sacrés qu’ils ont pollués. Il est normal donc qu’ils redistribuent un peu de cette richesse aux descendants de ceux qu’ils ont spoliés, dont beaucoup vivent aujourd’hui encore dans des situations dramatiques. »

Beaucoup d’associations autochtones se battent et militent pour que les droits des Amérindiens soient reconnus. Debaj a choisi de ne pas se mêler de politique, et préfère jouer sur la pédagogie. « Les deux sont nécessaires et complémentaires, considère Joana, les unes pour réveiller les consciences, l’autre pour être un pont entre les cultures. »


Il y a quelques années, Debaj a fait un beau travail avec les anciens de Wiki, où il les a filmés parlant de leur vie. Avec Joana, nous avons discuté de l’idée de faire de même en faisant parler les anciens des deux cultures , comment les uns voyaient les autres,  et comment, finalement, ils étaient si semblables… 

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