Ces quinze jours passés à Debaj m’ont
permis d’appréhender – du moins un peu – la situation des Amérindiens du
Canada. Au début, j’ai eu l’impression qu’elle était bien meilleure que les images
que j’en avais : acculturation, chômage, alcoolisme, obésité… Les gens que je côtoyais étaient « normaux »,
comme vous et moi, et lorsque je me suis rendue pour la première fois à Wiky, j’ai
vu de jolies maisons, semblables à celles de Manitowaning.
Mais les discussions au fil des jours,
et surtout ce week-end, hébergée avec Simon chez Audrey et sa famille, une des
salariées de Debaj, pour assister au grand pow wow de Wiky, m’ont montré que la
réalité des Autochtones reste très difficile. A Wiky, dès qu’on quitte la route
principale, on se trouve devant ces alignements de maisons préfabriquées, ce sentiment d’abandon
collectif semblable à celui de nos banlieues ; et en parlant avec les
gens, j’ai pu voir combien l’alcoolisme est un fléau chez les Autochtones. Tous
connaissent ou ont connu quelqu’un mort de cirrhose, d’autres sont des anciens
alcooliques, le chômage, l’obésité et le
diabète sont importants….
"Unceded reserve"
Et encore, la situation de Wiki
est privilégiée. C’est la seule reconnue officiellement comme «sans traité »
(unceded). En effet, lorsque le Canada a créé les réserves, les Autochtones ont
dû signer des traités avec le gouvernement (on se doute de quel côté les
traités n’ont pas été toujours très respectés….). Plusieurs ont refusé de les
signer, mais seule Wiki a obtenu que ceci soit reconnu. La réserve est
propriétaire de sa terre, alors que dans les autres, la terre appartient au
gouvernement canadien.
Plus au nord de l’Ontario, les
réserves sont dans des situations de détresse, elles sont en général dans les
lieux les plus inhospitaliers, infestés de moustiques, et pour celles qui ont
la malchance d’être près de mines (si le Canada est prospère, c’est grâce à
elles), leur eau est contaminée. Beaucoup de ces Amérindiennes obligées de se
prostituer et tuées ou disparues évoquées dans le « 7 minutes show »
de vendredi dernier (voir la vidéo de
mon article sur ma première semaine à Debaj) venaient des réserves du nord. Et
même à Wiki, la situation n’est pas toujours rose ; beaucoup d’Amérindiens
au-delà de la quarantaine n’ont pas dépassé le niveau scolaire de base.
Residential schools
C’est là que j’ai découvert les
« écoles résidentielles ». Nombre de jeunes Amérindiens ont été emmenés
loin de leur famille pour être placés dans ces pensionnats religieux (en général
catholiques), où il leur était interdit de parler leur langue, où ils étaient
christiannisés en vue d’être assimilés. Abus sexuels et stérilisation y ont été
menés. Je savais que ces système avaient aussi existé aux USA, en Australie, et
en Nouvelle-Zélande, mais ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est de découvrir
jusqu’à quand ces écoles résidentielles ont existé : jusque dans les
années 90. La dernière a fermé en 1996… C’est-à-dire il y a tout juste 19 ans.
La commission pour la vérité et la réconciliation sur ces écoles n’a été créée
qu’en 2008.
Et jusque dans les années 60, les
Amérindiens n’avaient pas le droit de sortir des réserves.
Cela m’a permis de voir combien le
travail de réappropriation de leur histoire par les acteurs de Debaj est
important. Et, au fil des années, Debaj a travaillé sur la préservation et la
transmission des légendes et histoires amérindiennes ; en intégrant
maintenant l’environnement et la nourriture, travaille sur la cueillette, la
connaissance et l’utilisation des plantes de l’île (les gens m’ont dit que
l’île contient la plus grande diversité au monde de plantes médicinales a
prorata de sa surface).
La pédagogie plutot que le militantisme
J’ai eu une très intéressante
discussion avec Joana ce matin sur le fossé qui existe encore entre autochtones
et blancs, qui vivent souvent mal le fait que les Autochtones aient – ou
revendiquent – des réparations pour les actes du passé. « Oui, les
Canadiens disent qu’ils ne sont pas responsables de ce que leurs ancêtres ont
fait, m’a-t-elle dit. Et longtemps j’ai pensé comme cela moi aussi. Mais ils
oublient une chose, c’est que s’ils sont prospères aujourd’hui, s’ils ont une
vie heureuse, si le Canada est riche, c’est grâce aux terres qu’ils ont volées
aux Premières Nations, aux fleuves qu’ils ont détournés ou barrés, aux lieux
sacrés qu’ils ont pollués. Il est normal donc qu’ils redistribuent un peu de
cette richesse aux descendants de ceux qu’ils ont spoliés, dont beaucoup vivent
aujourd’hui encore dans des situations dramatiques. »
Beaucoup d’associations autochtones
se battent et militent pour que les droits des Amérindiens soient reconnus. Debaj
a choisi de ne pas se mêler de politique, et préfère jouer sur la pédagogie. « Les
deux sont nécessaires et complémentaires, considère Joana, les unes pour
réveiller les consciences, l’autre pour être un pont entre les cultures. »
Il y a quelques années, Debaj a
fait un beau travail avec les anciens de Wiki, où il les a filmés parlant de
leur vie. Avec Joana, nous avons discuté de l’idée de faire de même en faisant
parler les anciens des deux cultures , comment les uns voyaient les
autres, et comment, finalement, ils
étaient si semblables…
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