Wwoof autour du monde

C'est l'histoire d'une journaliste qui va se nettoyer les neurones durant un an en faisant du wwoofing autour du monde.

Pour ceux qui ne connaissent pas, wwoofing: willing workers on organic farms, c'est-à-dire aider des agriculteurs bio et en échange être logé et nourri.

Pourquoi du wwoofing? Parce qu'il combine tout ce que j'aime: la nature, le grand air - ah, les mains dans la terre, finir sa journée crottée - les voyages, les rencontres... Et surtout, je n'avais pas envie de "voyager pour voyager", mais trouver un fil conducteur et apporter ma petite contribution à une autre façon d'envisager notre monde.

Attention! Ce n'est pas un travail journalistique que je fais ici, je ne prétends pas à l'exactitude, mais au partage de ce que je vis. Pour le plaisir, simplement...

mercredi 29 juillet 2015

Sonny, fabuleux conteur


Etre à Debaj, sur l'île de Manitoulin, c’est une chance unique de découvrir – du moins un petit peu – un pan de la culture amérindienne.  Cela a commencé dès le premier soir, lorsque Ashley Manitowabi est venu me chercher à ma descente du bus à Espanola. Tandis que ses filles Hope (Espoir) et Patience gazouillaient à l’arrière de la voiture en chemin vers la ville de Manitowaning, il m’a parlé de l’origine du mot « Canada ». Le vrai nom est Kini Endwat « la maison de tous » en mohawk, et les Britanniques l’ont transformé en Canada. Il m’a aussi parlé des trois peuples natifs de l’île, les Ojibway, les Odawa (qui ont donné leur nom à la capitale Ottawa) et les Potawotami, qui forment la confédération des Trois feux. Nous avons aussi longé un lac où il m’a dit se trouver le Rocher des rêves, où les gens allaient jeuner pour avoir des visions. Aujourd’hui encore, ils vont y jeuner. Ont-ils des visions ? Je ne sais…


Debajehmujig, les conteurs. Parmi ceux-ci, il y a Sonny, un fantastique conteur. Pas comme on pourrait l’imaginer, version « vieux sage indien et méditatif », même si ses longs cheveux sont retenus par un bandeau comme chez les Navajos. Au contraire. Il raconte comme on parle entre potes, et ajoute une pointe d’ironie savoureuse. Durant plus de deux heures, il m’a raconté l’histoire des nations indiennes, et quelques unes des légendes. J’ai d’abord voulu prendre des notes – réflexe de journaliste – et puis j’ai arrêté, pour simplement m’imbiber de tout ce qu’il me contait… Je retransmets autant que je le peux ce qu'il m'a dit, mais on me pardonnera d'éventuelles erreurs...

Histoire des Amérindiens


Est-elle vraie, tient-elle plus de la mythologie ? Je ne sais pas, je me contenterai de rapporter ce que Sonny m’a dit. L’origine des Amérindiens se découpe en sept histoires, et la septième, celle qu’il m’a contée, remonte à 20 000 ans. Existait alors, à l’endroit actuel de Saint-Louis dans le Missouri, une civilisation – une cité ? – nommée Kahila, si grande qu’il fallait «marcher sept jours et sept nuit pour aller d’une extrémité à l’autre ». Qui dit civilisation dit organisation ; l’organisation est devenue hiérarchie, et peu à peu deux classes sont nées, les maîtres et les esclaves.


Un jour, les esclaves ont décidé que cela suffisait et sont partis – c’est « la Grande migration » - et se sont dispersés en plusieurs directions, les uns donnant naissance aux Maya, Toltèques, etc, les autres au Inuits, les autres aux nations de la côté Ouest, et les derniers enfin se sont eux-mêmes scindés au fil du temps entre les différentes nations amérindiennes . Quant aux maîtres, n’ayant plus personne pour les servir, ils sont morts de faim. Belle allégorie pour rappeler qu’oppresser les uns amène un jour ou l’autre à la catastrophe...


Et l’île de Manitoulin dans tout ça ? Pour les uns, elle est le lieu de la création du monde, pour les autres, elle est le lieu qu’a choisi Gitchi Manitou pour vivre, ce qui est certain, c'est que des traces d’habitation de plus de 3000 ans y ont été trouvées.


Sonny m'a conté les légendes à l'aide d'une carte représentant le rocher des pétroglyphes de Peterborough, un immense rocher avec plus de 900 figures gravées par les Algonquins il y a environ 3000 ans. Les Premières Nations l'appellent Kinomagewapkong, le rocher qui enseigne.
Le rocher des pétroglyphes de Peterborough.


Gitchi Manitou

Dans la religion amérindienne,  les esprits sacrés sont des « Manitou », dont le plus important est Gitchi Manitou, le « Grand Esprit ». Dans les religions monothéistes, Dieu est masculin, et en général représenté avec une barbe (on se demande bien pourquoi, d'ailleurs...). Pour les Amérindiens,  cela n’a aucun sens, l’esprit suprême ne peut pas avoir de genre, il ne peut ni être homme, ni être femme, c’est pourquoi il est représenté comme une sorte de brume, et on ne parle jamais de « lui » ou « elle », mais de Gitchi Manitou.

Les quatre enseignements

Les quatre grands enseignements de la vie sont :
« Regarde les oiseaux et apprends ; regarde les mammifères et apprends ; regarde les poissons et apprends ; regarde les plantes et apprends. »
Dans le même esprit, pour enseigner comment élever ses enfants, « regarde les loups et apprends ».

Equilibre

Nous sommes constitués de trois êtres, l’être émotionnel, l’être spirituel, et l’être physique. Les trois ne peuvent se développer harmonieusement que si nos quatre besoins primordiaux sont respectés : bon air, bonne nourriture, bonne eau, et bon abri. S’ils ne sont pas respectés, notre être physique sera malade, et ne pourra permettre à notre être émotionnel et notre être spirituel de s’épanouir.

Les trois temps de la vie

Les Amérindiens reconnaissent trois temps de la vie : le jour et la nuit -  les cycles de la lune – le quatre saisons. Et leur année commence au printemps.


La légende du chipmunk

Un jour, Gitchi Manitou a rassemblé des chipmunks et leur a dit d’aller dans la forêt pour se trouver. Un petit chipmunk est alors arrivé, tout enthousiaste, et a demandé s’il pouvait le faire aussi. Gitchi Manitou lui a dit qu’il pouvait, et le petit chipmunk a filé vers la forêt. Au bout d’un certain temps, il est revenu tout penaud : « Je ne me suis pas trouvé, et pourtant ‘ai cherché partout, sous chaque buisson, dans chaque creux dans un tronc d’arbre… » Gitchi Manitou lui a alors dit de fermer les yeux. Le petit chipmunk a fermé les yeux : « Mais je ne vois plus rien ! » « Tu t’es trouvé… », lui a répondu Gitchi Manitou.


La légende du chêne

Pour moi, la plus belle légende est celle du chêne. Le chêne représente nous –même. L’arbre vit grâce à ses racines plantées dans le sol ; ces racines représentent notre passé, notre histoire. Dans ces racines de notre passé, il y a de bonnes choses, de moins bonnes choses,  et des choses carrément mauvaises. Mais c’est notre histoire, et toutes font de nous ce que nous sommes. Souvent, on tente de rejeter les mauvaises choses, on se dit « Si j’avais fait ceci » « Si cela s’était passé ainsi », mais en agissant ainsi, on se met dans le déni, et on ne permet pas à l’arbre de pousser correctement. Pour que l’arbre vive, nous devons accepter chacune de nos racines, y compris les mauvaises.


La légende du chêne suit également le cours de l’année, et chaque saison correspond à un temps dans notre vie.
-          En hiver, il n’y a que le tronc et les racines ; ceci est notre vrai « moi ».
-          Au début du printemps, les bourgeons apparaissent, c’est le temps de la prise de conscience de soi, et le moment où l’ego se fait jour : « Regardez, je suis là ! »
-          Lorsque les beaux jours arrivent, les feuilles grandissent, deviennent vertes, c’est le temps de l’accumulation, où l’ego engrange : « Regardez comme je suis beau ! » Mais en même temps, ces feuilles cachent le tronc, le vrai moi.
-          Quand les fruits sont à maturité, vient le temps du partage ; là aussi notre ego est content, il est content de donner et de montrer qu’il donne.
-          Quand l’automne arrive, et que les feuilles changent de couleur, c’est le temps où l’on apprend, le temps du savoir. L’ego est heureux d’apprendre.
-          Quand les feuilles tombent, vient le temps de la compréhension. Deux temps très différents :  durant le temps du savoir, on « sait » les choses, ce temps peut s’exprimer per des mots ; durant le temps de la compréhension, on les « ressent » ; ce temps ne peut s’exprimer par des mots.
-          Lorsque l’hiver revient, et qu’il n’y a plus que le tronc et la racines, c’est de nouveau le vrai « moi » qui est là, et c’est le temps de la sagesse. La sagesse, c’est accepter tout ce qui constitue notre « moi », le bon comme le mauvais, « car pour pouvoir se pardonner, il faut d’abord s’accepter… »


Si chacun de nous pouvait garder cette légende dans son cœur et ses tripes… Je sais en tout cas que lorsque Sonny me l’a racontée, mes larmes ont coulé et j’avais la gorge nouée. S’accepter pour pouvoir se pardonner… Et maintenant encore, alors que je l’écris, l’émotion est là…



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire