Wwoof autour du monde

C'est l'histoire d'une journaliste qui va se nettoyer les neurones durant un an en faisant du wwoofing autour du monde.

Pour ceux qui ne connaissent pas, wwoofing: willing workers on organic farms, c'est-à-dire aider des agriculteurs bio et en échange être logé et nourri.

Pourquoi du wwoofing? Parce qu'il combine tout ce que j'aime: la nature, le grand air - ah, les mains dans la terre, finir sa journée crottée - les voyages, les rencontres... Et surtout, je n'avais pas envie de "voyager pour voyager", mais trouver un fil conducteur et apporter ma petite contribution à une autre façon d'envisager notre monde.

Attention! Ce n'est pas un travail journalistique que je fais ici, je ne prétends pas à l'exactitude, mais au partage de ce que je vis. Pour le plaisir, simplement...

lundi 27 juillet 2015

Debajehmujig, les conteurs

Voyons, comment décrire cette première semaine sur l’île de Manitoulin, ma troisième étape sur mon chemin de wwoofeuse ? Une succession de moments passionnants et de désoeuvrement, comme des montagnes russes de l’humeur. Moments passionnants lorsque j’apprends, je m’abreuve, de la culture amérindienne, son histoire, ses légendes, que j’entends les récits sur l’hiver canadien par – 40 °, ou que, tout simplement, je partage des moments avec les gens d’ici ; désoeuvrement lorsque je tourne en rond en me demandant ce que je peux faire. Ce ne sera sans doute pas la seule fois que je vivrai cela durant  mon année de wwoofing… Car c’est finalement le  lot de tout travail, qu’il soit payé ou bénévole, surtout quand, comme moi, on débarque pour, finalement, peu de temps, quelques semaines. A peine a-t-on intégré tous les tenants et les aboutissants qu’on doit reprendre la route…


Me voici donc sur la plus grande île en eau douce au monde, l’île de Manitoulin, au nord du lac Huron. Manitoulin, l’île de Manitou, terre de trois tribus amériendiennes, les Ojibway, les Odawa – qui ont donné leur nom à la capitale du Canada, Ottawa – et les Potawatami. Une île qui ressemble à une poupée russe : dans l’île se trouvent des lacs – dont le lac Manitou – lesquels ont des îles, lesquelles peuvent avoir elles aussi des lacs…

Paysage représentatif de la partie est de l'île, où se trouve Manitowaning (photo prise sur le net). 

Et dans cette île, je suis à Manitowaning – « là où un esprit vit dans l’eau » - au sein de la compagnie de théâtre Debajehmujig – « les conteurs » en ojibway – la plus ancienne compagnie de théâtre amérindienne en activité de l’Amérique du Nord et la seule troupe professionnelle située dans une réserve. Fondée en 1984, elle est en effet gérée par la communauté de la réserve de Wikwemigong (plus communément appelée « Wiki »), de l’autre côté de la baie, mais les locaux sont à Manitowaning, hors de la réserve, pour des raisons pratiques et administratives. Nombre de comédiens amérindiens réputés sont passés par Debaj (tout le monde l’appelle ainsi) ou y ont fait leurs premières armes. Surfer: www.debaj.ca
Le hall de Debaj est orné d'images des membres du conseil d'administration qui se sont succédé au fil des ans. 

Global Savages est la dernière pièce de la troupe et a été présentée en tournée en Amérique du Nord et en Europe. Je la verrai samedi prochain lorsqu'elle sera jouée au pow wow de Wikwemikong.


Son directeur artistique actuel est Joe Osawabine, et la direction générale est assurée par Ron Berti et sa femme Joanna depuis 1993. Originaires de Toronto, ils ont tout quitté alors étudiants pour aller vivre dans le nord de l’Ontario. « Au départ, j’étais venu dans la région pour quelques semaines pour un projet artistique, se souvient Ron, mais quand je suis arrivé, j’ai su que je ne voulais plus retourner en ville. J’y ai ressenti un bien-être, une paix, incroyables. J’ai appelé Joanna – nous n’étions pas encore mariés à l’époque - pour lui dire que je ne rentrais pas à Toronto, elle m’a dit « Banco, je viens aussi ! », et on s’est mariés ici. »

Culture et questionnements


Debaj veut être un pont entre les « natives » (ou « first nations ») -, les Amérindiens -  et les « non  natives », les descendants des pionniers.  Y travaillent donc des personnes des deux bords, mais, comme me l’explique Ron, « travailler sur la culture n’est pas toujours facile ; il y a toujours un moment où on arrive aux questionnements, aux « pourquoi », au présent qui porte le poids du passé, et aux malentendus. » Et c’est vrai que, les rares fois où des interlocuteurs canadiens ont eu à me parler des Amérindiens, c’était de façon très évasive, ou pour me parler, avec une pointe d’amertume, des exemptions de taxes pour les natives. D’un autre côté, « L’Indien » avec ses plumes, son teepee et son totem (une tradition pourtant spécifique aux tribus de la côte pacifique) est partout présent, surtout dès qu’il s’agit de tourisme.


Mais cette schizophrénie n’est pas l’apanage de l’Amérique du Nord, nous l’avons tous chez nous, y compris en Europe, il suffit de voir le mythe du gitan ( surtout de la gitane, d’ailleurs) et nos relations avec les Roms actuels. Lors de mon séjour, j'ai en tout cas pu découvrir un sujet qui fait polémique au Canada, les "Missing women",  ces millier d'Amérindiennes obligées de se prostituer et disparues ou tuées depuis vingt ans. Debaj en a fait le sujet de son "show de 7 minutes" hebdomadaire.




Bref, tout cela pour dire que le travail sur les culture ayant ses limites, Debaj s’est lancé il y a quelques années dans un thème plus fédérateur, l’environnement et un de ses corollaires directs, la nourriture. Explication de Ron : « Quelles que soient les idées et opinions de chacun, nous avons tous un même besoin, celui de vivre dans un environnement vivable. Or, la culture amérindienne a toujours vécu dans le respect de la nature ; en travaillant sur ce thème, nous pouvons plus facilement rassembler les gens. »

Et c’est là que les wwoofers entrent en piste. Debaj a créé un jardin, où l’on cultive les légumes pour le repas en commun de chaque midi pour la quinzaine de salariés et tous ceux présents pour telle ou telle chose. Nous nous occupons donc du jardin, avec l’ajout en ce moment de jeunes de Wiki en stage de découverte du théâtre. Nous préparons le repas de midi (environ 25 personnes), entretenons et nettoyons les lieux, etc.

A part moi, il y a actuellement Felix, d’Allemagne, ici depuis novembre et présent pour un  temps indéterminé, Patrick, dit Patches, anglais, et Simon, belge, ici pour deux ou trois mois, Steve, canadien,  que je n’ai pas encore rencontré car il a pris quelques jours pour retourner à Toronto. Tout ce petit groupe est sous la houlette de Sam, canadienne ; venue wwoofer ici, elle n’est jamais repartie et est désormais « interne » ici.

Les wwoofers partagent un appartement, et c’est ma première expérience de plongée totale dans l’univers typique des wwoofers, si l’on peut dire : un logement partagé par des jeunes de vingt ans, et moi qui arrive avec le double de leur âge… Ils ont fait une drôle de tête quand ils m’ont vue arriver! Mais finalement, cela se passe bien. Le bordel ambiant, les canettes de bière partout, et l’ignorance de ce qui signifie le mot « nettoyer » ne me gênent pas plus que cela ; et leur addiction aux jeux vidéos non plus, je bosse sur mon ordi pendant ce temps-là. Et on papote ; avec ce côté parfois surréaliste quand je parle avec Simon : la règle tacite est de parler anglais en permanence, et même si Simon est bruxellois et francophone, nous parlons anglais ensemble. Les premiers jours, cela me semblait artificiel, et puis maintenant, c’est bon !



Voilà pour les premières nouvelles de Debaj…

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