Wwoof autour du monde

C'est l'histoire d'une journaliste qui va se nettoyer les neurones durant un an en faisant du wwoofing autour du monde.

Pour ceux qui ne connaissent pas, wwoofing: willing workers on organic farms, c'est-à-dire aider des agriculteurs bio et en échange être logé et nourri.

Pourquoi du wwoofing? Parce qu'il combine tout ce que j'aime: la nature, le grand air - ah, les mains dans la terre, finir sa journée crottée - les voyages, les rencontres... Et surtout, je n'avais pas envie de "voyager pour voyager", mais trouver un fil conducteur et apporter ma petite contribution à une autre façon d'envisager notre monde.

Attention! Ce n'est pas un travail journalistique que je fais ici, je ne prétends pas à l'exactitude, mais au partage de ce que je vis. Pour le plaisir, simplement...

samedi 28 novembre 2015

Au bout du bout du monde...


Sur une carte du monde, la Polynésie française, pour nous métropolitains, apparait comme un tout petit coin lointain de notre pays. Petit, pas tellement que cela... Une carte géographique m'a fascinée ici, celle où la Polynésie française est superposée sur la carte de l'Europe: si Papeete est Paris, A'hé est à Amsterdam! Et les Marquises, dont Gauguin et Brel furent amoureux, est en Suède; quant aux Gambiers, ils sont à la hauteur de la Bulgarie... Comme me disait en riant Manu, le propriétaire suisse d'une pension à Manihi, l'atoll voisin d'A'hé, "Tout autour de toi, tu as 8000 kilomètres d'eau..." Au bout du monde, oui, nous y sommes...

Le ciel et l'eau, et juste un bout de terre entre les deux, tels sont les Tuamotu.

Il y a même le requin qui pointe son aileron... Mais aucune inquiétude, les pointes noires sont de petits requins de récif, on nage à leurs côtés sans problème.

Et vivre au bout du monde, ce n'est pas vivre une vie "normale". Etre aux Tuamotu signifie être sur un motu, un minuscule bout de terre de parfois quelques centaines de mètres carrés; au-dessus, le ciel; en-dessous, l'eau. Rien d'autre. Pour aller ailleurs, il n'y a que l'avion; ou, si l'on n'est pas pressé, le bateau pour plusieurs jours. Et encore, les bateaux sont des cargos de fret, et les places pour les passagers sont rares... Le Dory ne fait que le fret, le Mareva Nui et le Stella Maris ne viennent que tous les quinze jours. Papeete? Il faut avoir les moyens de prendre l'avion, trois vols par semaine...

Internet, quand tu nous tiens...


Sur A'hé, le village Tenukupura a quelques épiceries dont les rayons peuvent être très vides selon les arrivages de produits, une poste, un dispensaire avec une infirmière (pas de médecin), une mairie... A Kamoka, j'ai eu besoin d'eau oxygénée; les derniers wwoofers avaient vidé le flacon, le prochain viendrait de Papeete un jour, un jour peut-être. Sur les atolls, il ne faut pas compter sur un médecin. Quant au collège, il est sur l'atoll de Rangiroa. C'est un autre monde, on est en France, mais on n'est pas en France.



Coupée du monde durant mon séjour à Kamoka, je l'ai été encore plus du fait qu'Ahé est le dernier atoll non desservi par internet (officiellement il l'est, mais...). Et la situation n'est pas vue de la même façon quand on va quelques jours sur un atoll pour se reposer, oublier tout, et quand on y va pour travailler, même si c'est simplement pour une dizaine de jours. Ce sentiment m'a surtout marquée lorsque, après les attentats du 13 novembre, j'ai ressenti un très fort besoin d'être en lien avec "mon pays", avec cette impression très étrange de l'abandonner dans l'épreuve en étant si loin de ses difficultés...

Minuscule grain de poussière face à l'océan


J'ai souvent eu à l'esprit le film "Seul au monde" avec Tom Hanks. C'est beau, magnifique, mais c'est une prison dorée. Même pour les habitants des îles de la Société (Tahiti et ses voisines), les archipels (Tuamotu, Marquises, Gambiers, Australes) sont un autre monde, "il faut y être né pour pouvoir y vivre", disent-ils souvent. Durant mon séjour, je lisais "Dans les forêts de Sibérie" de Sylvain Tesson; je me dis qu'il était peut-être moins coupé du monde dans sa cabane au bord du Baïkal que les gens de Kamoka: il vivait dans un monde "terrien" pour lequel notre corps est adapté, on y respire, on y marche, avec de la volonté on peut quitter sa cabane et partir. Ici, aux Tuamotu, le monde qui nous entoure est celui de l'eau, sans bateau on n'y est rien, tout fort ou solide que l'on soit. On est minuscule, un grain de poussière face à l'immensité océane.
Entre ciel et eau, toujours...



Paradoxalement, cela vous envoûte très facilement ; au début, on se dit « mais comment vais-je faire ? » Et puis, au fil des jours on laisse tomber les épluchures du monde "normal", on laisse le temps aller, on regarde le ciel, on écoute le vent... On s’y habitue d’autant plus que les habitants sont encore plus adorables qu'à Tahiti, du fait de leur éloignement. A Manihi, alors que j’attendais le bateau de Manu qui venait me chercher pour passer trois jours dans sa pension, une dame s’est désolée : « Oh, c’est dommage que tu l’ais déjà appelé ! Tu serais venue chez moi et tu aurais connu la vraie vie des Tuamotu ! » Oh oui, alors, j'aurais aimé! Et avec ses amies, elles se sont payé une belle tranche de rigolade en m’offrant d’essayer une pirogue à balancier, celle de l’employé de l’aéroport, qui l’utilise comme moyen de transport. 

Ceux qui ont déjà approché un durian comprendront pourquoi Air Tahiti  interdit son transport, même en soute!



Et les Tuamotu, ce sont aussi des moments fabuleux, j'ai vécu quatre plongées d'anthologie.C'est un véritable aquarium! On met la tête sous l'eau d'un clarté limpide, et on en voit partout, aussi bien les minuscules poissons de toutes les couleurs que les bans de barracudas, les thons, les requins gris, et les raies... Mon dieu, les raies... Une raie léopard passe à quelques mètres, élégante, je vois son oeil qui me regarde; une raie manta ondule lentement, elle passe et repasse; avec sa peau noire on dirait une immense chauve-souris. Ou une veuve de jadis avec sa mantille voltigeant autour des oreilles.

Les fonds sous-marins des Tuamotu, c'est cela: une profusion incroyable de poissons, des requins, des raies.... Une splendeur. Photos piochées sur le net.


Et ces bans de poissons par centaines: les perches pagaies qui rasent le sol, montant et descendant au gré de ses déclivités, semblables à un troupeau de moutons sur ses collines, je pourrais rester des heures à les regarder; un ban de poissons gris croise un ban de poissons noirs, chacun respecte son côté d'une ligne invisible, on se croirait sur les grands boulevards...


J'ai un regret, n'avoir pas pu, en raison de la houle trop forte, nager côté océan. A trente mètres du bord, on se retrouve soudain avec 2600 mètres de fond sous les palmes car les atolls sont le minuscule sommet de volcans souterrains autour desquels les coraux ont tressé leur barrière. Constat de Manu: "Les gens restent au bord du tombant, mais il leur est impossible d'aller au-delà, la peur devant ce vide est trop forte."  J'aurais aimé éprouver cette terreur qui vient du fond des tripes face à l'abime; sentiment que j'ai vécu une nuit de pleine lune en plein Sahara: au-dela du sommet de la dune, les ténèbres totales, l'esprit qui se met soudain à tourner à 100 à l'heure et l'incapacité de mettre un pied dans ce noir profond, comme s'il allait soudain m'engloutir et me faire diparaître à jamais... C'est dans ces moments que l'on prend conscience que, simple humain, on est tout petit face à la nature et ses mystères. Promis, si je reviens un jour, je le ferai.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire